Monsieur, et cher mâitre,

Je suis très honoré de la question que vous voulez bien me poser, et je regrette vivement de n’être pas en état d’y répondre.² J’ai en très peu l’occasion d’étudier les coléoptères myrmécophiles, et vous pouvez voir le peu que je sais de leurs moeurs dans mon travail sur les fourmis de la Suisse page 422, c’est à dire à peu près rien; les observations de Müller et de Lespès ne m’inspirent qu’une médiocre confiance.³

Il m’a paru que l’allure des coléopt. myrmécophiles vis-à-vis de leur hôte avait beaucoup de rapports avec celle de la Stenamma Westwoodi (une fourmi parasite) vis à vis du sien (la F. rufa).⁴ Or j’ai observé que la S. Westwoodi sait suivre son hôte dans les émigrations qu’il fait (l.c. p. 353 en bas). Mais tout cela n’explique en rien la façon dont ces parasites arrivent dans les fourmilière.

Je vous avoue franchement que quelque ingénieuse que soit la supposition de M. Wallace, je suis peu disposé à l’admettre tant qu’il n’y aura pas de preuves positives à son appui.⁵ A ma connaissance le développement des coléoptères myrmécophiles est parfaitement inconnu. On ne sait absolument pas oú vivent leurs larves, oú ils pondent leurs oeufs. Or je ne crois pas que le moyen de résoudre la question consiste à examiner les corps des femelles ailées pendant l’accouplement. Les myrmécophiles sont trop rares; on risquerait de chercher des années sans rient trouver. On devrait, me semble-t-il, établir dans un appareil une fourmilière de Lasius flavus,⁶ par éxample, avec des Claviger foveolatus⁷ et observer sans relâche, afin d’arriver à voir d’abord l’accouplement des Claviger, puis si possible, l’endroit oú les ♀ fécondes déposent leurs oeufs quitte, si l’on ne réussit pas, à examiner aussi les femelles de fourmis qui sortiront de l’appareil; ici il sera facile de les contrôler toutes.— Il me semble qu’avec beaucoup de temps et de patience quelquun (libre de son temps!) pourrait arriver à ce but. Peut-être ces insects deposent-ils leurs oeufs hors des fourmilières et la larve vit-elle ailleurs que chez les fourmis? Peut-être est-ce un parasite interne et non externe des femelles; qui le sait?

Malheureusement mon temps est si complètement absorbé par ma carrière pratique (médecin d’un hôpital d’aliénés)⁸ et par le côté scientifique qui s’y rattache (Anatomie du cerveau, Psychiatrie) qu’il ne me reste que bien peu de temps et un temps tout entrecoupé pour les fourmis.

J’ai commencé il y a deux ans une expérience sur la parthénogénèse chez les fourmis, comme je l’ai indiquée (l.c. p. 401 ligne 2 à 16) dans mon travail; elle dure toujours et ne m’a pas encore donné de résultat.⁹

Le manque de temps suivi, et d’un local convenable m’empêche de faire une foule d’expériences que je désirerais faire depuis des années, sur l’origine des fourmilières, en général et sur celles des fourmilière de Sten. Westwoodi, Strongylognathus et Anergates en particulier;¹⁰ c’est pour moi encore une énigme incompréhensible. Il faut absolument pour arriver à résoudre ces questions là être mâitre absolu de son temps, et pouvoir observer pendant des jours, des semaines sans relâche et à toutes les époques de l’année.

Une étude des sexes de ces coléopt. myrmécophile donnerait peut être déjà quelques directions importantes.

J’ai un peu continué mes recherches sur les organes des sens des insectes dans les antennes. Les recherches de Sir John Lubbock qui ont paru ces derniers temps sur ce sujet m’ont vivement intéressé, ainsi que les travaux de Graber (Die tympanalen Linnesapparate der Othopteren Wien 1875 bei Gerold’s Sohn) et de Wolff (Das Riechorgan der Biene 1875 Jena bei Frommann).¹¹

Enfin permettez moi, cher Monsieur, de vous dire le vif plaisir que m’a procuré la lecture de votre Ouvrage sur les Plantes Insectivores.¹² La quantité d’observations nouvelles, profondes et minutiéuses qu’il renferme est vraiment fabuleuse.

Veuillez croire, Monsieur et cher mâitre, au regret que j’ éprouve de ne pouvoir répondre à votre question, et agréer l’assurance de mon respect et de mon sincère dévoûment.

Aug Forel